Notre salon Arletty: dès le début des années 1930, Arletty est devenue une figure érotique, ce dont témoigne ce portrait de Moïse Kisling, datant de 1933. Crédits : © Moïse Kisling / ADAGP, Paris 2012 / Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

lundi 12 novembre 2012

Il pleut encore.


J'aime la rue, sa pluie, l’odeur de cette pluie, ce monde grouillant qui noie l’indigent. Mais l’indigent semble s’en foutre complètement de toute cette eau ; de tout ce monde. Il parcourt sa portion de boulevard comme un Don Quichotte, et moi presque caduc je suis en marche à coté de lui bousculé ; ballotté parfois par l’un de ses sacs comme par le ventre d’un ogre ruisselant tout Paris.
La ville, l’immonde ville (vaste urinoir pour indigents) se voudrait déjà scintillantes des lanternes de noël.
Le froid aimerait prendre en tenaille l’absurdité de tous ces vas-et-viens avec leurs pensées  âpres ou doucereuses.
L’arbre pris pour pissoir se gausse de ce chatouillis.
Lui cet indigent à mes cotés est beau comme un Christ ; cheveux mi longs blonds châtains avec des mèches en or.
Je connais maintenant son odeur et parfois en lavant son linge, celle insidieuse mais déjà perceptible de la puanteur  qu’exhale un trousseau humide et porté depuis presque une semaine.
L’indigent est érudit.
Coude contre coude, bras contre bras, nous avons visité le musée d’Orsay ensemble. Demain le Louvre et toujours les mêmes cafés aux alentours de Saint-Germain-des-Prés
Ce jeune homme de trente trois ans aime les femmes.
Et moi j’aime étrangement ce jeune homme.
J’aime chez lui (alors que je nous aime encore un peu) tout ce qui n’est pas nous. Cette étrange adhérence au bitume ; ce refus presque catégorique qui  lui revient souvent de se faire aider par l’état ;  les services sociaux.
J’aime sa maintenance (même transi de froid) à son statut d’indigent.
Soit.
Le verbe aimer ici n’est pas le bon, puisque nous ne saurions aimer la misère ; le désordre quelle jette sur les nécessiteux et nous tous.
Mais comment ne pas aimer en « éructeur » de puanteurs de ce monde, en artiste, en critique ce prélude tumultueux à la Victor Hugo ?  Comment ne pas aimer ; comment ne pas chérir cet autre nous-mêmes qui sonde à notre place le devenir  sans doute pitoyable de notre société.
La résonance  ici est une nouvelle fois tonitruante.
La misère s’installe à Paris, dans nos rues ; partout ; dévorante,  en un clin d’œil.
Elle me sied parce qu’elle nous pousse dans nos derniers retranchements.
Pour ne pas aller jusqu’au sang il nous faudra couper et reprendre pour nous des pliures de l’étoffe du manteau de Saint-Martin.
Voila huit mois qu’une ou deux fois par semaine je partage un café, du pain, une pizza avec ce nouveau compagnon.
De ce partage, j’en ai fait mon poing, un étendard, le cri avalé, enfoui de toutes les désespérances tues.
J’en ai écrit une très courte nouvelle intitulée « Dat »
Et à la dernière ligne, j’en ai fait mon tombeau.
J’ai alors levé mes poings et pris le col de cet homme.
Je lui ai crié mon attachement, mon affection ma tendresse, et les semaines écoulées ont faits de nous ; deux frères ; deux amants fraternels.
Chacun ayant besoin de l’autre de façon différente.
Un jour Christophe partira pour un mieux être et ce sera bien.
C’est ce que je lui souhaite vivement.
Je serai déjà mort
Dans la solitude d’une chambre d’hôtel.

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